A NOUS DEUX
! Nyssen ? disait mon grand-père,
poète en étymologie et coupable de quelques
cratylismes. C’est un nom qui désigne à
l’origine « le fils de la nouvelle lune ».
Voilà pourquoi, ajoutait-il, tu es dans la lune quand
tu n’as pas les pieds sur terre. La lune et la terre
? Telle est peut-être la raison, me suis-je dit plus
tard, pour laquelle tout va chez moi par deux. Et j’ai
fait le compte : je suis français, mais je suis né
belge et, comme je l’ai écrit dans un poème
: « je porte dans mon sud un nord inavoué ».
Je parle deux langues, j’ai deux résidences
dans l’ordre inverse de la norme (la principale en
Provence, la secondaire à Paris), je me suis marié
deux fois, en moins de deux… (oui, certes, j’ai
trois enfants et douze petits-enfants, mais je les aime
comme pas deux). Et puis, j’aime aussi les femmes
et les livres, je fréquente les maîtres et
les amis, j’accueille les idées et les émotions,
je pratique le rêve et la fiction, je consacre le
plus clair de mon temps à l’écriture
et à la lecture, je respecte également les
mots et le silence, je suis féru de musique et de
théâtre, j’alterne la marche et l’immobilité,
je vais de l’audace à la timidité, j’assume
les convictions et les doutes, je vais et viens entre lumière
et obscurité, je suis écrivain et je fus éditeur
(L’éditeur et son double est d’ailleurs
le titre de l’un de mes livres). Joueur, j’ai
souvent jugé que « deux tu l’auras »,
ça valait mieux qu’un « tiens ».
Et à cette obstination dualiste je ne vois qu’une
exception : il ne peut y avoir deux poids et deux mesures
devant une injustice. A tout cela, qu’on se le dise,
j’ai réfléchi plutôt deux fois
qu’une…
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